Résumé

      En 1968, le cinéaste français Edouard Luntz (1931-2009) réalise Le Grabuge, film franco-brésilien, produit par la 20th Century Fox et scénarisé par le sociologue rochelais Jean Duvignaud (1921-2007). Le film, l’auteur et le scénariste ont un point commun : ils sont oubliés, voire reniés, en dépit du fait qu’ils ont laissé des traces dans la culture et le patrimoine français et même international. Il nous semble que remettre sur le devant de la scène ces œuvres et figures marginales et oubliées est légitime et éclairant dans un environnement culturel souvent enclin à la reproduction et au discours aseptisé. L’objectif de cette journée d’étude est non seulement de révéler un fragment du patrimoine cinématographique, mais aussi d’évoquer et d’encourager l’étude des origines mythologiques, des répercussions sociologiques, culturelles, géographiques,… des films mystérieux, sulfureux, désavoués, oubliés, perdus.

Présentation

     Jean Duvignaud (1921-2007) était écrivain et sociologue. L’étude de son œuvre et de ses archives mettent au jour sa participation active au sein d’un écosystème littéraire et scientifique créatif et bouillonnant : la gestion de revues incontournables et rares – Arguments (1956-1962), Cause Commune (1972-1979), Scarabée International (1982-1983), Théâtre Populaire (1953-1964) ; ses contributions à la sociologie de l’imaginaire et du théâtre ; une œuvre littéraire inspirée ainsi que ses incursions singulières dans le monde du théâtre et du cinéma. Il a écrit le scénario de Remparts d’argile (réal. JL Bertuccelli, prix Jean Vigo 1971) à partir de son enquête sociologique Chebika (Plon, 1968).
Jean Duvignaud est également à l’origine d’un petit mystère du cinéma. Il a composé dans les années 1960 le scénario d’un conte cruel et subversif sur la bourgeoisie et la jeunesse, Le Grabuge, inspiré d’un mythe de La Rochelle : celui de « la Repentie » datant de l’époque médiévale.

Fragment manuscrit - Le Grabuge - Fonds Jean Duvignaud, Archives Municipales de La Rochelle

Ce mythe raconte que Myria Grim-Hard, dite La Grimarde était à la tête d’un groupe de villageois, tellement taxés par leur seigneur qu’ils en furent contraints de se faire naufrageurs. Du haut des falaises de l’Aunis, entre La Rochelle et Châtelaillon, la Grimarde et les siens allumaient des feux pour dévier les navires de la route du port et les faisaient se fracasser sur les rochers. Les habitants dépouillaient alors les restes de l’épave naufragée sur la plage. Un jour, la marée ramena le fils noyé de Myria Gim-Hard. En repentir, elle n’alluma des feux par la suite que pour avertir les navires du danger d’approcher ces côtes tortueuses.

A partir de ce récit mythologique de la région rochelaise, Jean Duvignaud imagine l’histoire de Dina, une jeune fille de milieu bourgeois qui s’encanaille le soir avec une bande d’autres jeunes désœuvrés, piégeant les trafiquants pour s’emparer de leurs marchandises. Un jour Dina tombe amoureuse d’un de ces hommes, Pablo. Elle cause sa mort, ce qu’elle ne peut supporter. Elle emporte chez elle son corps. Plus tard, lorsque sa folie diminue, elle brûle le cadavre, se défigure avec une lame de rasoir, puis se marie dans sa classe sociale et rompt avec son passé. Contre toute attente, ce scénario, qui est une allégorie sanglante de l’hypocrisie que prêtent au milieu bourgeois les intellectuels de gauche dans les années 1960, plaît à Darryl Zanuck, magnat de la 20th Century Fox, qui décide de produire le film qui sera réalisé par  Edouard Luntz.

C’est Edgar Morin, ami proche de Duvignaud, qui présente le scénario au cinéaste. Jeune réalisateur de films d’auteurs, fort du succès des Cœurs verts, son premier long-métrage, sorti en 1966, Edouard Luntz a le vent en poupe.
Mais le tournage du film se révèle compliqué : réalisé au Brésil, principalement sur les plages du Nordeste, il s’éternise et coûte plus cher que prévu. E. Luntz s’avère difficilement trouvable et joignable par la production : il fait la fête. Et à la sortie, prévue en 1968, c’est un échec. Le film qui durait près de 3h à l’origine a été remonté par D. Zanuck pour être réduit de moitié tant et si bien que l’essence du scénario et la vision du réalisateur ont été perdues. Par ailleurs, en 1968, le Brésil est en pleine dictature militaire : le film jugé subversif par le régime est interdit. Une seconde sortie au Brésil est tentée quelques années plus tard, en 1973 mais c’est encore un échec faute de promotion et du choix d’une période inappropriée (désertion des salles). La Fox ne prend pas la peine de sortir le film ailleurs, même en France. Pire, D. Zanuck entame une destruction systématique de toutes les copies du film qu’il trouve. La dernière copie disponible en France a été reprise à la Cinémathèque par la Fox en 2013 ; Le Grabuge est même effacé du catalogue filmographique de la société.

      Un film se révèle parfois être un morceau d’histoire, même lorsque sa réception à sa sortie a contribué à l’effacer des mémoires et du patrimoine. Il est légitime de se demander si la faible postérité dont pâtissent les figures du scénariste et du réalisateur n’impactent pas sur le manque d’intérêt pour ce film, sur le fait que trop peu de personnes cherchent à le faire sortir de l’oubli. Plus largement, le cas du Grabuge nous amène à nous demander pourquoi et comment offrir une postérité à des films disparus ?Cette journée d’étude prend appui sur l’exemple du Grabuge, mais ce n’est pas un cas isolé, et les pistes de réflexion à explorer sont nombreuses. Nous vous invitons à partager vos questionnements, réflexions, études, observations à l’occasion de cet évènement qui se veut inter- et transdisciplinaire.

 

Programme

Cet évènement est une initiative doctorante dans le cadre de travaux sur le sociologue et écrivain Jean Duvignaud. La consultation de ses archives nous a permis de découvrir plusieurs versions d'une histoire, Le Grabuge, dont il a fait un scénario pour le cinéma d'auteur. Le parfum de mystère et de subversion qui entoure ce film nous a interpelé, d'autant plus que, à l'instar de Jean Duvignaud, Edouard Luntz est aujourd'hui peu connu malgré une carrière et des oeuvres remarquables. Il nous a alors semblé évident qu'une rencontre autour de ce film et de ces auteurs devait avoir lieu.

La Journée d'études se déroulera à Orléans le mardi 11 Juin 2024 de 10h à 18h, et sera accessible en visioconférence. 

Sur place, nous nous réunirons dans la salle de conférences du CRIJ d'Orléans ainsi que dans le cinéma Les Carmes de Michel Ferry pour visionner son documentaire Don't say yes until I finish talking (2013).

Le film étant sous droits de la Century Fox, et mis par elle sous le sceau du secret, nous serons malheureusement dans l'impossibilité de le diffuser. 

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